Mais en fait… quel est mon métier ?
Dans les messages de la page d’Arcand ce matin, cette courte question :
« Bonjour,
Juste une question, quel est votre métier ??
J’admire énormément votre travail ! »
Je me trouve d’abord émue et amusée, puis au moment de répondre… très dépourvue !! Quel est mon métier ?? La question est simple mais la réponse pas vraiment…
Si on regarde les choses du point de vue des « cases » officielles, je suis « éducateur sportif option : activités équestres », c’est ce qui est marqué sur mon diplôme d’état. Bon c’est une première piste… je suis donc officiellement apte à donner des cours d’équitation contre rémunération avec la bénédiction des législateurs de ce pays.
Oui, mais… quel est mon métier ??
Donner des cours collectifs à tous publics en centre équestre, faire passer des galops, emmener des élèves en concours de dressage, CSO, complet, Horse-ball, endurance, etc. J’ai fait cela durant de nombreuses années… ce n’est plus mon métier.
Avoir mon propre poney-club, proposer des activités variées, des cours en petits groupes, des cours particuliers d’équitation juste, douce et légère qui permettent aux propriétaires de chevaux de gagner en concours avec des équidés ayant de tous petits moyens physique, s’imposer peu de chevaux et poneys pour pouvoir s’en occuper correctement, j’ai fait aussi… ce n’est plus mon métier.
Faire de la compétition de dressage avec un croisé selle français/fjord imprévisible et potentiellement dangereux et un Oldenburg qui s’était réfugié dans l’autisme pour fuir son passé de compétiteur de haut niveau, j’ai fait. Les deux chevaux ont tout gagné contre toute attente, m’ont beaucoup appris mais ça ne sera jamais mon métier.
Faire de l’endurance jusqu’aux petits internationaux avec une jument sans fers, sans mors, sans arçon, se faire regarder comme une paria par les organisateurs, les vétérinaires et les autres concurrents, j’ai fait. La jument s’est qualifiée dans de très bonnes conditions encore une fois contre toutes attentes, j’ai énormément appris, je suis heureuse si on a pu ainsi faire avancer la cause des chevaux mais ca n’est absolument pas mon métier.
Travailler des chevaux de CSI pour de riches propriétaires, sans mors, uniquement sur le plat, lever l’une après l’autre leurs raideurs, combler patiemment leurs carences en dressage en allant dans la lenteur, en cherchant d’abord la perfection de l’équilibre et de la décontraction au pas avant de les envisager au trot, en attendant la perfection au trot avant de travailler au galop en appliquant le « cherchez la pureté des 3 allures, le reste n’est que peu de choses » d’Oliveira, j’ai fait. Après 6 mois de travail, les chevaux qui font la meilleure saison de CSO de leur carrière, et la propriétaire est aux anges… c’est passionnant de pouvoir travailler des chevaux de cette qualité mais préparatrice de chevaux n’est pas mon métier.
Mettre en place à l’époque le premier centre équestre entièrement sans fers, sans mors, sans arçon, imposer l’arrêt du passage des galops, la réintroduction du travail à pied dans les cours, la révision de l’alimentation et des conditions d’hébergement des chevaux dans cette structure là, j’ai fait. Gérer la transition pieds nus de la quarantaine d’équidés tout en conservant l’activité de la partie « tourisme équestre » du centre, réussir à avoir des chevaux aptes à participer et à se qualifier en endurance dès leur première année de déferrage, suivre par la suite les cas plus ou moins compliqués que l’on nous amenait pour les passer pieds nus, j’ai fait. J’ai immensément appris, ce projet fut d’une richesse incroyable tant humainement que techniquement mais ce n’est pas mon métier.
Remettre sur pied ou rétablir la communication avec des dizaines (centaines ?) de chevaux et poneys en murés dans la souffrance muette des chevaux, la souffrance des proies qui fait qu’ils ne peuvent l’exprimer car leur instinct leur interdit, redonner la confiance à des chevaux en panique, la douceur à des chevaux dangereux, réharmoniser les musculatures, soigner les métabolismes déréglés, les traumatismes engrammés, j’ai fait et malheureusement je fais toujours mais ce n’est pas mon métier.
Mais alors… quel est mon métier ??
Mon métier n’est pas ce que je fais. Ce que je fais s’appuie certes sur l’expérience que toutes ces situations m’ont donnée, expérience nécessaire à tout « homme de cheval » pour acquérir le recul et la stabilité nécessaire face aux chevaux, animaux puissants et rapides mais aussi à leurs humains, pas toujours ajustés à leurs équidés.
Mon métier, c’est ce que je ne fais pas. C’est l’espace neutre et impérativement vide de tout jugement, attente, commentaire ou projection que je crée en moi à chaque rencontre, qu’elle soit humaine ou équine. Espace d’écoute absolue qui me permet de ressentir l’autre dans ses forces et ses faiblesses, sa tranquillité et son agitation intérieure, ses ombres et ses lumières.
Mon métier, ce n’est pas de trouver ce qui ne va pas chez un cheval, un cavalier ou un couple cheval/cavalier mais de percevoir ce qui va pour créer les conditions propices au développement de cette étincelle d’envie d’aller bien.
Mon métier c’est de considérer toutes les informations comme… des informations et non des vérités absolues et immuables en ne perdant jamais de vue le caractère impermanent de toute chose. Ce concept central dans la philosophie bouddhiste est si vérifiable dans la nature cyclique de tout ce qui nous entoure ! Je donne une grande importance à cet état d’esprit afin de toujours laisser la place nécessaire à l’émergence de la réponse adaptée à chaque individu à chaque moment et éviter tant bien que mal de voire les choses uniquement au travers du filtre de mes croyances du moment (les croyances n’échappent pas à l’impermanence…)
De ce que je reçois lors de ces « premières rencontres » je réponds avec l’outil adapté pioché dans mon expérience : par de l’équitation, du travail en liberté, du travail sur la posture ou sur les ressentis. Je suis aussi parfois amenée à répondre avec ce que me dicte mon instinct qui s’est aiguisé et à qui j’ai appris à faire confiance. Ces moments là sont toujours étonnant, combinant l’impression d’être un funambule sans aucune sécurité et celle de suivre une voie simple et évidente… J’aime ces instants hors du temps, ces discussions dans l’invisible ou m’emmènent parfois les chevaux mais aussi les blocages corporels des cavaliers.
C’est l’alliance de mon expérience avec cet état d’esprit qui crée ce métier, l’une et l’autre étant indissociables car l’une sans l’autre créent des approches peu recommandables, l’esprit et la matière se devant d’être au point d’équilibre pour être stables.
Alors oui, mon métier comporte en fait bien des métiers, ce qui en fait toute la richesse et la beauté… et je le comprends peut amener des personnes à se poser des questions sur ce que je fais ! Le but de tout cela n’est pourtant que d’amener les humains à être plus justes dans leurs actions et relations avec les chevaux car je sais que quand les humains s’imprègnent des chevaux (et non se servent des chevaux pour se valoriser d’une manière ou d’une autre) ils gagnent en Humanité.
Merci pour cette question !
Commentaires (8)
j’ai vraiment aimé ce récit sur votre métier si riche car justement au pluriel, ce qui en fait sa particularité. Votre expérience est extraordinaire et me fait rêver, moi qui est commencée très tardivement l’équitation et la reprise très tardivement aussi, je ne peux rien faire comme tout le monde…Mais je suis plus à l’écoute de mon cheval aujourd’hui que je ne l’étais plus jeune en prenant des cours sur des chevaux dont je ne m’occupais même pas, le comble, faire du cheval sans rien savoir sur eux. Aujourd’hui je trouve que c’est une aberration ! on devrait commencer par là avant de monter, respecter ces merveilleux équidés, les comprendre et ensuite faire son apprentissage en le montant mais pas l’inverse ! j’ai acquis plus en 3 ans depuis que j’ai mon cheval que pendant des années en club. Je respecte votre travail et l’admire ! dommage que vous soyez si loin, je serais bien venue vous voir avec ma monture adorée !
Merci tout plein Corinne et bravo pur votre parcours et votre réflexion, c’est extra !
Bonjour. Texte magnifique, touchant. Je me dis que malgré la grande distance qui nous sépare (Lyon) il faut que je trouve le moyen de prendre du temps pour moi et de venir vous rencontrer …
Un grand merci Cath, et ce sera avec plaisir qu nous vous recevrons
J’ai eu la larme à l’oeil en lisant. Tu fais des choses super et je suis fière d’avoir commencer l’équitation avec un grande personne, toi. Tu n’étais pas juste ma monitrice d’équitation, tu étais ma deuxième maman. Si tu étais plus proche, je pourrais apprendre de nouveau avec toi, avoir une nouvelle approche du cheval. Je ne monte plus en centre équestre car c’est honteux ce qu’ils font subir aux pauvres bêtes. Je te souhaites que des bonnes choses.
charlene villaume
Je te fais de gros bisous Charlène et pour avancer en tant qu’enseignant, il faut des élèves… toi et tous les autres vous n’y êtes pas pour rien dans tout ça !
Très bel article, écrit avec beaucoup de sensibilité. C’est exactement ça votre métier ! Transmettre du bonheur 🙂
Merci Claire, juste , on ne peut transmettre le bonheur car « Le bonheur n’est pas chose aisée. Il est très difficile de le trouver en nous, il est impossible de le trouver ailleurs. » Bouddha
En tant qu’enseignant, on ne peut que vous aider à le découvrir en vous 🙂