Non faire et équitation.

Non faire et équitation.

C’était dimanche dernier… Un jour ou j’ai eu une denrée rare ces derniers mois : du temps. Denrée tellement rare que très souvent actuellement, quand j’en ai un peu, je l’utilise mal. Comme si mon cerveau ne savait plus prioriser (ou comme si il avait besoin de repos) normal quand on a un petit bout de 9 mois paraît il…

Mais dimanche, c’était très clair pour moi, ce temps était celui de travailler avec les chevaux. Après 1h30 de pansage, détiquage et démêlage des crinières et queues de Sire et Tzaroum, un tapis sur Tzaroum et hop tout le monde dans la carrière. Je sais que Sire a hâte de reprendre le travail, et rien que le fait de venir dans la carrière sans rien faire lui fait du bien au moral.

Je marche un peu avec Tzaroum, il est bizarre, pas très tranquille, il marche comme une anguille… le message est clair : je suis bizarre et pas stable à ses yeux ! Bon…

 

Je vais voir ce qui se passe dans mon corps physique, hum ! Ma respiration est bloquée sous les côtes à droite, mon squelette n’est pas dans sa verticale, je n’ai pas une égale perception  de ma jambe droite et de ma jambe gauche. Je prends conscience de tout cela, laisse l’air passer entre mes côtes et mon bassin à droite, mets de la conscience dans ma jambe droite, et viens appuyer le haut de mon corps sur mes reins (merci Christine) je sens les abdominaux transverses prendre leur juste tension, ça y est, « ça » tient debout ! Et Tzaroum se pose et marche droit.

Bon, qu’en est il de ma perception panoramique… bof, bof. Je ne suis pas là, ça ne semble pas gêner mon cheval outre mesure. Je note donc et passe à la suite.

Que se passe t’il dans la sphère émotionnelle ? Ouhla, deux millions de pensées à la minute, plus de la joie d’avoir ce temps avec mes chevaux plus une certaine lassitude que je ressens souvent en ce moment. Bref, c’est bien encombré là dedans !

Je regarde Tzaroum, il est tranquille. Je lui fais part de mon souhait de grimper sur son dos, pas d’objection de sa part, on se dirige donc vers le montoir.

Dés que je suis sur le montoir, il me dit que finalement, il a quelques objections vu mon état remarquable de non présence ! Je le rassure en lui expliquant que je vais rien faire qui ne soit pas à ma portée réelle du moment. Il est de nouveau d’accord. Et hop, à cheval.

Je m’installe, constate les dizaines de zones de tension dans mon corps, ma perception panoramique complètement bouchée, et cette fois ce ne sont pas deux millions de pensées à la minute mais dix ! Dont des projections idiotes de mon cerveau qui a la trouille (je le comprends quelque part, monter à cheval en état de non présence, ça peut être dangereux !).

Et voilà que mon cerveau va chercher tout ce qu’il connaît pour se sortir de ce genre de situation. Depuis le temps que j’enseigne et accompagne des personnes à cheval, j’ai des tonnes d’outils pédagogiques de visualisation, prises de consciences de sensations physiques, moyens d’ouvrir sa perception panoramique contemplative, etc.

Mon mental m’en sert à la pelle, tous à propos, mais je décide d’aller dans une autre direction. Après avoir vérifié la verticalité de mon squelette, je décide de ne rien faire.

RIEN.

Ne pas :

  • me détendre
  • me calmer
  • clarifier mes pensées
  • chercher à modifier ma posture
  • essayer de me symétriser
  • calmer les peurs générées par les projections de mon cerveau
  • faire bouger le cheval ou chercher à ce qu’il ne bouge pas
  • empêcher Sire de venir voir Tzaroum
  • chercher à modifier ma respiration
  • faire circuler volontairement de l’énergie vers telle ou telle partie de mon corps
  • chercher à ouvrir mes sens
  • me juger
  • me contredire
  • commenter ce que je suis en train de vivre
  • essayer de bien faire ou de mieux faire
  • essayer d’orienter de quelque manière que ce soit ce qui se passe
  • me dire que je serais mieux à tel ou tel endroit de la carriére

RIEN.

NON FAIRE

C’est d’abord inconfortable, le nombre de pensées qui me traversent augmente d’abord de façon considérable. Je les observe passer, avec bienveillance. C’est toujours inconfortable, mon cerveau essaie maintenant de m’attirer dans le futur ou dans le passé pour échapper à cette situation qui l’angoisse. J’observe, cela s’apaise. C’est encore inconfortable, je me sens aussi stable et solide qu’une miette de pain sur mon Tzaroum mais quelque chose est en train de changer : l’écoulement du temps. Son lourd mécanisme se ralentit puis s’immobilise, me voilà dans le temps vertical, celui ou les heures/minutes/secondes n’existent pas. Je connais ce temps hors du temps, c’est celui des chevaux, celui de la vie et de l’univers, celui dans lequel il y a une éternité dans chaque seconde.

RIEN.

C’est d’un coup beaucoup plus confortable, tout et plus doux, la chaleur de cette journée d’été ne me brûle plus, les mouches qui tourbillonnaient ne sont plus là, je me sens infiniment vulnérable et tellement forte d’un coup ! Vulnérable car la vie est un miracle, notre vie est infiniment fragile en fait. Et forte car je sens la puissance de cette même vie, cette même puissance qui donne aux lionnes la capacité de tuer d’un seul coup de dent, à la graine la possibilité de devenir un arbre multi centenaire et à la poussière d’étoile la capacité de devenir une planète.

RIEN.

Le confort augmente encore, mon corps se densifie et se rééquilibre seul à présent, je n’ai qu’à laisser faire, c’est comme si des mains géantes en re-sculptaient les contours en le remplissaient d’une matière vive, dense et habitée. Me voilà de nouveau pleine de moi, la joie en profite pour se glisser en moi.

RIEN.

L’espèce de « sac » dans lequel j’étais et qui m’empêchait de percevoir toute la plénitude des sons, des couleurs, des odeurs et des sensations s’évapore, il s’effiloche et ses lambeaux disparaissent. J’ai l’impression de voir, d’entendre, de sentir, de toucher pour la première fois. Ma perception retrouvée achève de m’ancrer dans le présent, dans la présence… Après tout ça, je suis enfin là ! Je goûte cet état d’être que je connais pourtant, apprécie une nouvelle fois sa simplicité et la joie qu’il procure. Tzaroum n’a pas bougé durant toute l’expérience, il est très calme et posé, Sire est juste à côté de nous, tout est parfait.

RIEN.

Je me sens maintenant prête pour le mouvement. Je le suggère à Tzaroum, choisis une cadence, il se met au pas. Après une dizaine de mètres, il s’arrête je décide encore de ne rien faire si ce n’est de garder en moi la cadence que j’avais choisi. Au bout de 2/3 secondes, il repart exactement dans la cadence de pas que j’ai gardée en moi tout au long de son arrêt et sans le secours de mes jambes ou de mon assiette. En mouvement je me sens stable, à ma place, je sens juste que ma hanche droite est peu mobile. Je demande donc à Tzaroum d’être bien actif dans son postérieur droit pour pouvoir me lier à son mouvement et mettre cette hanche en route. Il est d’accord. Nous marchons aux 2 mains je me rends compte qu’indépendamment de moi, sa hanche droite est aussi à la traîne, nous nous épaulons mutuellement jusqu’à ce que courbes et lignes droites des 2 côtés soient bien symétriques, que ses postérieurs soient sur les mêmes pistes que les antérieurs. Il se déverrouille et se redresse, se porte seul, je ne l’ai toujours pas touché avec mes jambes, juste posé le stick de temps à autre sur le bas de sa cuisse droite.

RIEN.

Je lui propose un peu de travail de 2 pistes, je ME mets dans la posture de l’épaule en dedans, il y entre sans altérer sa cadence, ma plus grande difficulté étant de pouvoir continuer à ne rien faire, Je me rends compte plus que d’habitude à quel point c’est difficile car dès que l’on quitte l’exact centre de gravité commun, les forces centrifuges se mettent à l’œuvre et obligent à « faire ».

RIEN.

Un peu de trot maintenant. Tzaroum est plutôt délié et ample, très calme et cadencé, un peu haut au début puis il vient s’arrondir de lui même. Les épaules en dedans sont faciles, c’est parfait, je descend.

Je regarde ma montre. Dans le temps des hommes, il s’est passé 35 minutes depuis que je suis entrée dans la carrière. Dans le temps hors du temps, j’ai vécu plusieurs éternités, je m’en amuse, encore une fois…

non faire et equitation

ET EN PLUS, C’EST EFFICACE !

La séance a vraiment profité à mon grand cheval, son rein qui a tendance à être contracté est souple et fort, son garrot est bien en place, il est serein. Depuis dimanche, il bouge bien, ses tensions musculaires habituelles sont plutôt relâchées… rien à dire sinon MERCI pour cette expérience !

Commentaires (11)

  • Ingrid. Répondre

    Ne rien faire ….. seulement lire et me surprendre à visualiser ton récit …. sentir. … ressentir. …..
    Ne rien faire …. recevoir. … observer …. et remarquer des changements . …❣
    J’aimerais tant être un petit oiseau, me poser sur une branche et observer silencieusement tout ceci.
    Merci de ton partage. 💗💖💓

    1 juin 2017 à 22 h 22 min
    • Les chevaux d'arcand Répondre

      Pfff, vivement une bonne balade hein <3

      2 juin 2017 à 14 h 04 min
  • Aude Répondre

    Waw ! C’est une expérience vraiment intéressante, ça ouvre des perspectives… Magnifique ! Être, juste être. C’est tellement difficile, pour nous les humains conditionnés à toujours chercher quoi faire, vous l’illustrez merveilleusement dans cet article ! Génial ! Merci beaucoup, pour cette transparence aussi.

    2 juin 2017 à 8 h 16 min
    • Les chevaux d'arcand Répondre

      Merci Aude, les chevaux sont toujours ok pour nous faire vivre de nouvelles expériences n’est-ce pas 😉

      2 juin 2017 à 14 h 06 min
  • BAUCHOT Nolwenn Répondre

    Merci pour ce témoignage. Je m’ y retrouve beaucoup 😊 Mon cheval m’ a souvent imposé le Wu Wei, ou l’ art du non agir. Et j’ en ai constaté tous les bénéfices dans ma vie quotidienne et dans notre relation. Ne rien faire avec un cheval, c’est tellement puissant.

    4 juin 2017 à 7 h 58 min
    • Les chevaux d'arcand Répondre

      Merci à vous Nolwenn 🙂 et oui : le non agir permet de laisser agir

      4 juin 2017 à 14 h 10 min
  • Natmont Répondre

    Ces mots décrivent précisément l’état d’agitation mentale et de crispation physique duquel le cheval peut nous demander de sortir pour nous conduire lentement vers un calme et une concentration presque méditative. Merci de prendre le temps de partager cela sur votre blog. Ça conforte sur le bon chemin.

    4 juin 2017 à 9 h 12 min
    • Les chevaux d'arcand Répondre

      Merci 🙂

      4 juin 2017 à 14 h 09 min
  • Nicole Répondre

    Bonjour,
    Cela fait dix ans que j’ai débuté ma relation avec un cheval en voulant aller de l’avant et faire faire faire…Que de frustrations pour ma jument et moi…Jusqu’à une rencontre l’an dernier.
    Nous travaillons depuis un an avec une élève de Christine Agassis, en Suisse. Et j’apprends enfin à ETRE à CHEVAL.
    Donc, je me reconnais beaucoup dans votre article. Il y a dix ans, j’ai d’abord voulu tout apprendre au niveau “technique”, pour tout à coup me rendre compte qu’il me manquait le savoir être. Et le NON FAIRE.
    Cette fois, nous touchons enfin à une relation de confiance, ma jument et moi. Et cela se ressent sur son état de santé, elle a vingt ans et une magnifique énergie !
    Si je vous partage tout cela, c’est parce que je suis heureuse de lire que cette façon d’être à cheval, et avec son cheval, est entrain de se répandre… et cela me réjouit pour le bien-être de nos merveilleux chevaux. Merci de votre travail. Et de vos partages inspirants.

    4 juin 2017 à 15 h 51 min
  • MARTINET Répondre

    Le “rien” est un outil très puissant et bénéfique que j’utilise beaucoup dans les cours que j’enseigne. “Ok, ne fais plus rien.” D’abord, c’est physique, on s’arrête, puis le corps se relâche, et le mental prends le relais. “Ok, ne fais rien, comme si la séance était terminée” Pouf, tout le monde se relâche et se décontracte et on rentre dans une conception du temps que les chevaux connaissent bien mieux que nous : celui de l’instant…
    Merci !

    22 juin 2020 à 14 h 15 min
  • Hélène Dupont Répondre

    Hasard… ? Ce post vient me cueillir aujourd’hui….
    Touchée par l’écriture qui emmène sur le dos de Tzaroum, emmène dans la carrière, sous le soleil, dans mes imperfections, mes tensions, mes paniques, touchée par la vulnérabilité de chacun face aux impératifs de la vie, touchée par la puissance et les ressources présentes en nous et par l’aide mutuelle décrite.
    Touchée parce qu’en manque viscérale de cette présence, touchée parce que ce post est un espoir, une autre porte, que se passe-t-il dans ce rien qui nourrit?
    Merci Claire, Merci d’une ancienne stagiaire… en quête de Présence.

    8 octobre 2021 à 13 h 53 min

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